Quoi de neuf?

Textes sur la photographie
 
Boubat accueille, reçoit ses photos



« Lumière », « foyer », « révéler ». ces termes ont dans la photographie un sens instrumental, technique. Ils peuvent, les mêmes, être sortis de la chambre noire et rendre une autre clarté dans un ouvrage de méditation – autant dire dans l'amour.


Boubat ne « prend » pas ses photographies, il les reçoit. Il les accueille. Quant à connaître précisément ce qui est ainsi accueilli, c'est impossible. Le savoir que nous avons d'une chose enferme cette chose sur nous-mêmes. Dans l'accueil, c'est le mouvement inverse: nous sommes ouverts à l'autre et, pour tout dire, nous sommes un peu perdus. Boubat ne connaît pas tout ce qu'il voit, pas plus que je ne comprends tout ce que j'écris. Le meilleur de nous arrive toujours à notre insu.



BOBIN, Christian. BOUBAT, Edouard. Bobin-Boubat Donne-moi quelque chose qui ne meure pas. Gallimard, 1996. page entre les photos « Mexique 1960 » et « Mexique 1980 ».


Voir des photos de Boubat.

 
Photographe, métier qui consiste à recapturer sans relâche les fragments d’un monde que l’œil ne se lasse pas d’apercevoir


Je lis et relis inlassablement cette œuvre magnifique de Jean-François Beauchemin, écrivain québécois, La Fabrication de l’aube, récit poétique et touchant de l’expérience de retour à la vie de l’auteur qui a été dans le coma pendant plusieurs jours. M. Beauchemin y relate, entre autres, sa relation avec son frère Pierre, photographe. Je transcrits ici quelques lignes de ce chapitre  qui nous livre un point de vue fort juste sur ce qu’est la photographie pour les photographes et pour ceux qui la perçoivent.



«Ce n’était certainement pas par hasard si mon frère Pierre était photographe. Je comprends pourquoi ce métier, qui consiste à recapturer sans relâche les fragments d’un monde que l’œil ne se lasse pas d’apercevoir, l’avait tant attiré. Simone Weil a dit cette chose stupéfiante de vérité: “Il est donné à très peu d’esprits de découvrir que les choses et les êtres existent, et sans doute devrions-nous nous en féliciter. La découverte d’une existence autre que la nôtre produit un saisissement dont il est malaisé de se remettre.” Peut-être mon frère ne s’est-il jamais remis du choc que provoqua sa rencontre avec l’univers, la constatation foudroyante de sa réalité. Je l’imagine, très jeune, tendant les doigts. Au bout de sa main commence un monde. Des arbres, des maisons, des gens, des paysages, des autos, des objets, effleurés par l’index, proclament à mon frère leur existence incompréhensiblement belle, et mon frère note: le monde a lieu. Mais je crois que la seule cage des doigts ne lui suffisait pas pour retenir cette beauté toujours fuyante des choses. Il lui fallait une sorte de volière capable de ceindre le grand oiseau du monde. Cette prison sans barreaux, cette chambre où reposèrent mille, cent mille images usurpées à la terre, Pierre l’a portée toute sa vie en bandoulière, comme l’astronome porte sur lui son rêve nocturne et stellaire. Quel est ce rêve? Un ciel comme un appareil fabuleux, comme une lentille au bout de laquelle des continents se lèvent et nous font signe. Sans doute la photographie fut-elle aussi pour lui une façon de transformer un monde par ailleurs incertain. La nuit solitaire des chambres noires lui permit de se mêler des affaires du réel, de fixer enfin sur le papier ce que son regard avait rectifié, réparé ou simplement magnifié. On ne s’étonnera guère du rapprochement que j’effectue entre cela et le métier d’écrivain: chez nous aussi le papier sert de vase à cette fleur vivace qu’est l’insatisfaction, la déception que procure presque immanquablement la splendeur des jours. J’ai grandi en ayant sous les yeux les photos de Pierre. Pendant longtemps, j’y ai vu l’équivalent des pages d’un livre, une explication littérale du monde. Puis j’ai compris que ces images parlantes étaient les gardiennes d’une autre réalité: un jour, j’ai commencé à concevoir chacune d’elles comme une petite fenêtre, par laquelle on pouvait entrevoir ce que les objets de notre monde ne voulaient pas confesser. Peut-être  la photographie fut-elle simplement cela pour mon frère : un moyen d’ôter à la nuit son fruit, un peu à la façon du sourcier qui persuade la terre de briser sa réticence. Je pense que cette manière de lire et de retenir les ombres, la lumière, les angles et cette sorte de chef-lieu qui forme le fond du réel fut l’expression maîtresse d’un cœur plus généreux que les autres.»*



* Extrait cité avec la permission de l’auteur.


BEAUCHEMIN, Jean-François. La Fabrication de l’aube, Québec Amérique, Montréal, 2007, pp.89-90.


Ce récit a reçu le Prix des libraires du Québec 2007.


Ces lignes illustrent merveilleusement et avec justesse le titre de l’œuvre du sculpteur et maître-verrier Claude Bettinger qui se trouve à la Place des Arts de Montréal, L’artiste est celui qui fait voir de l’autre côté des choses.

 
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