Où vas-tu Fricka? Démarche créatrice

Photo de participation au collectif ROUGE, présenté chez Axart

Participation Fricka-doc.html
 
 

Démarche de création




Où vas-tu Fricka?

Détail de la robe de Fricka, déesse du mariage et épouse de Wotan, le maitre des dieux, dans La Walkyrie de Wagner. Photo prise au Palais Garnier, Paris le 4 janvier 2014.




Cette robe rouge est le costume de Fricka dans La Walkyrie de Wagner, œuvre qui a été présentée à l’opéra national de Paris du 20 février au 10 mars 2013. Du 17 décembre 2013 au 16 mars 2014, au Palais Garnier, on a pu voir ce vêtement dans le cadre de l’exposition Verdi et Wagner à l’opéra de Paris organisée à l’occasion du bicentenaire de la naissance des deux compositeurs.


Ce costume se présentait dans une vitrine circulaire qui nous permettait d’en faire le tour, de l’apprivoiser.




Cette première photo est purement documentaire. Elle sert de mise en contexte et nous permet découvrir l’ensemble : l’ampleur de la robe, le buste en velours noir qui met en valeur le corsage, partie la plus sensuelle.











Une deuxième photo verticale permet de s’approcher du sujet. C’est déjà plus intéressant. La réflexion d’une corniche fait penser à une longue coiffure; le cercle noir de la partie supérieure du présentoir ramène le regard sur le buste accentué par le trois bougies qui s’y reflètent. On entrevoit d’autres costumes derrière. Nous nous posons la question : où sommes-nous? Devant la vitrine d’un magasin? Chez un grand couturier? Il y a trop d’information qui distraie le regard. Pourtant…






Dans les photos suivantes, on s’approche davantage, mais toujours les photos de ballet derrière le mannequin détournent l’attention… mais indiquent que nous sommes dans un lieu de musique – information que je ne veux pas révéler de manière aussi évidente.












Un point commun à ces dernières photos est la prise de vue mettant l’accent sur le lacet du corsage. À cet élément d’une grande sensualité s’ajoute la vue partielle de la robe, tant en hauteur qu’en largeur. Le spectateur est de plus en plus proche, à portée de main… Le personnage « sort » du cadre; fuit? Veut se cacher? Attire? Mystère! L’idée commence à se préciser : sensualité, luxe, passion, proximité, fuite, ambigüité du lieu. Sans conteste, il faut « perdre » l’identité du lieu afin de rêver que nous sommes en présence d’une femme et non d’un mannequin.




Dans le prochain cliché, la référence au lieu disparait mais la luminosité du plancher est trop prononcée et laisse penser que la scène pourrait se passer le jour – perte de sensualité et de mystère. Mais beau lacet…







La photo suivante pourrait être choisie car l’éventail de lumière sur le plancher remet l’accent sur le lacet vu de côté. Le lacet est trop flou et la bande blanche à droite – réflexion sur la paroi du présentoir - oblige à trouver une autre photo.






Aussi, je préfèrerais une photo horizontale moins classique que le format « portrait » et plus ouverte, laissant plus de place à l’imagination du spectateur.


Les photos horizontales permettent d’apprécier un peu plus l’ampleur de la robe mais elles présentent les mêmes défauts que les verticales : présence du contexte – photos de ballet et réflexions inopportunes.








Cette dernière photo, par la grande réflexion de la jupe sur la paroi de verre, suggère une route à suivre, une passion à vivre, mais le personnage tourne le dos à cet avenir.




Une photo se détachait du lot.


Ce cliché ne présente pas les inconvénients des précédents; la réflexion de la jupe laisse deviner la précipitation de la femme vers la sortie. On y sent le mouvement, un tourbillon malgré le flou. Le bustier est de trois quarts ce qui met l’accent sur le lacet bien visible. De plus, l’éclairage derrière cette déesse souligne davantage les épaules découvertes et le buste bien contrasté. L’applique à quatre bougies très brillantes suppose un évènement se déroulant le soir ou la nuit.


C’est une image ouverte – Une femme! Fuit-elle? Suit-elle quelqu’un? Est-elle poursuivie? Désirée? Éros ou Thanatos, dans le noir comme dans le rouge? À vous de continuer à créer!




Où vas-tu Fricka?




Pour en savoir plus sur la robe de Fricka


Lors de la production de 2013, La Walkyrie de Wagner à l’Opéra national de Paris, Fricka était jouée par Sophie Koch et l’œuvre dirigée par Philippe Jordan. Yvonne Naef a tenu ce rôle en 2010 avec le même directeur au même opéra et était vêtue de la même robe.


On peut rapprocher le nom de l’interprète – Koch – de la couleur rouge qui se dit « coch » en gallois. Aussi, même le mot « opéra » a un sens vieilli de « rouge soutenu ». Le fil se tisse donc entre la robe, la couleur, le personnage, l’œuvre et l’interprète.


Toutes ces conjonctions me confortent dans mon choix de présenter Où vas-tu Fricka?




Comment le projet est-il né?


Dès qu’on m’a invité à participer à cette exposition de groupe pour février 2014, j’ai commencé  à explorer, à lire, à regarder, à chercher un angle pour aborder en photo ce thème de la couleur rouge en tenant compte de sa signification culturelle, politique et sociale.


Dans notre symbolique occidentale, le rouge est ambivalent. Il signifie l’amour, la passion, l’érotisme. Il est la couleur de la bouche, du cœur, du sang, mais aussi du feu destructeur, purificateur ou régénérateur (le phénix). Il est la couleur de la vie, de l’appétit, du spectacle, de l’opéra – le mot opéra signifiait autrefois un rouge soutenu. Il est synonyme de richesse, de luxe et même de luxure (couleur des maisons closes). Chez les Égyptiens, Seth, le diable destructeur est en rouge. C’est la tentation, le feu, la mort. Il représente aussi la puissance, le pouvoir, la souveraineté. Le rouge a tous ces sens et plus.


Ce que je retiens essentiellement est l’association du rouge à Éros et à Thanatos; double sens du sang, liquide vital quand il circule, et signe mortel quand il stagne ou s’écoule.




Quelles sont les pistes que j’ai explorées?


Pendant plusieurs semaines, j’ai exploré plusieurs avenues, mais aucune ne me menait  à un développement concluant.  Le travail concret de récolte de matériel a vraiment débuté en décembre à l’occasion d’un séjour à Paris.


Les panneaux de signalisation routière


J’ai pris conscience de l’omniprésence du rouge sur les panneaux de signalisation routière : X rouge cerclé du même rouge, sur fond bleu (arrêt et stationnement interdits);




Ce sont toujours des interdictions : défense de faire du vélo,




de promener son chien même en laisse,




Ce qui semblait le plus intéressant était le panneau de « sens interdit »,




surtout que j’avais trouvé quelques panneaux un peu transformés par des esprits imaginatifs :





Pendant quelques jours, j’ai pensé monter une grille de Tic-tac-toe (3x3) avec 9 images sur ce thème.


Ça aurait pu donné ceci :




Aborder le rouge sous l’angle de l’interdiction… je ne me l’autorisais pas – trop légaliste peut-être, trop sur la défensive même si certains « sens interdit » étaient bien sympathiques malgré quelques FTW irrévérencieux.




Sur les traces d’Antonioni


Toujours avec l’idée de faire quelque chose sur le thème de la signalisation routière, j’ai fait la photo suivante :




En plus du « sens interdit », il y a un bout de panneau rouge où l’on voit « Le Cèdr… Rou…(ge?) et une affiche rouge elle aussi, de « Gogol Premier ». Intéressant avec la tour Saint-Jacques derrière.


Puis, en poussant mon observation plus loin, en grossissant l’image…




si je m’étais appelé Thomas, et si j’habitais au 39 de ma rue comme le photographe dans le film Blow Up, j’aurais pu avoir été témoin de la rencontre fortuite d’un triangle amoureux : le personnage féminin allant à la rencontre de son amant qui vient vers elle du coin de la rue; danger, elle a été suivie par l’homme qui, derrière, sort de sa voiture… un drame amoureux, passionnel… meurtrier se prépare peut-être.





La tentation de jouer cette carte du ROUGE passion-jalousie-sang-mort m’est venue au retour de voyage en examinant de plus prêt le matériel rapporté. Mais cette idée n’a pas perduré parce que…


Une visite déterminante, à quelques heures du départ


La veille de mon retour au Québec, j’ai fait la visite du Palais Garnier ce qui a tout changé. Instantanément en voyant cette robe dans l’exposition consacrée à Verdi et à Wagner à l’occasion du bicentenaire de la naissance des deux compositeurs, j’ai pensé qu’il y avait là, à tout le moins, matière à exploration. Je me suis alors laissé porter par les formes, la couleur de cette robe, son présentoir, les reflets que la lumière ambiante y créaient. Chaque cliché en appelant rapidement un autre, j’ai travaillé comme si je faisais des croquis, en me laissant guider par l’excitation et l’intuition d’avoir trouvé une réponse graphique à toutes les questions que je me m’étais posées durant les recherches – lectures et examen d’images multiples - que j’avais faites avant de partir à la chasse de mes propres images.


Revenu chez moi, j’ai bien analysé la quinzaine de clichés de la robe de Fricka pour arriver à faire le choix définitif d’une seule image qui est devenue l’évidence même - Où vas-tu Fricka?


Travailler un thème imposé m’a forcé à sortir de ma zone habituelle de création. J’ai cherché non seulement des matériaux nouveaux mais aussi une approche différente de ces matériaux. Le sujet parfois dicte son point de vue, nous oblige à trouver un angle inattendu.




L’essentiel a été de trouver une image qui permet à chaque spectateur, à partir de tous les détails qu’il découvre en scrutant l’ensemble, de s’inventer une histoire qu’il se raconte à lui-même. Le spectateur devient alors créateur. Le bonheur.